Le peuplement de Ouidah

L’histoire a fait de Ouidah la ville phare qui a rayonné des siècles durant, sur la terre dahoméenne. Dans l’’U.G.D.O., c’est le nom de Ouidah qui nous réunit comme une « mère-patriarche » sa progéniture pour lui raconter comment elle a vu naître et se constituer des générations entières d’hommes et de femmes ainsi que des communautés étrangères qui ont favorisé la prospérité et fait la renommée de ce coin du monde.

OUIDAH A L’ORIGINE

La question de l’origine d’un peuplement tient pour l’essentiel à éclairer le problème des migrations dans le sens d’un segment de droite AB avec A pour point de départ et B comme point d’arrivée d’où des imbrications impliquant des migrations primaires ou secondaires, des fractionnements de peuple, des installations pacifiques ou conflictuelles dans telles ou telles régions.

Or, un vieil adage dit que « la terre appartient aux premiers occupants » et l’histoire accorde priorité aux hwéda sur toutes les autres communautés ethniques installées sur le sol de Ouidah. Mais d’où viennent les hwéda ?

Cette seule question ferait l’objet d’une thèse de doctorat de l’histoire d’autant que nos historiens n’en sont jamais encore venus à bout. Ceux qui ont tenté d’y apporter leur humble contribution sont divisés. Certains auteurs comme l’administrateur Gavoy et A. Pognon leur ont assigné une origine Adja-Tado, les assimilant au Hula. D’autres rejettent cette provenance, ce que les rois et les princes de cette localité semblent confirmer : « Les familles royales des quatre tribus : Hula, Gunu, Fon, et Adja sont originaires de Tado… Le léopard n’a rien à voir avec le python ». La formule imagée utilise des totems du règne animal : léopard pour les adja et python pour les hwéda afin de marquer la différence des lieux d’origine des deux peuples.

Le python apparaît à certains égards comme un élément d’indice valable de provenance des communautés ethniques. Ainsi dans son livre « dangbé du python sacré des hwéda au mythe universel du serpent », l’ethnologue Merlo montre la migration est ouest du peuple en question. Mais il est toujours difficile de préciser la période d’adoption de cet ophidien pour mieux localiser le lieu d’origine ou plus précisément le lieu d’où ils immigrèrent à ouidah d’autant que les historiens reconnaissent que le culte du python sacré se perd dans la nuit des temps parce qu’il ne semble pas dater d’une période plus récente.

On sait que dans ses grandes synthèses sur l’histoire de l’Afrique noire, Cheikh Anta-Diop a perçu l’origine Est Ouest des migrations africaines surtout ver l’Afrique occidentale. Des trois grandes régions d’où émigrèrent les africains actuellement installés au sud du Sahara : l’Egypte ancienne, le pays de Koush (la Nubie) et le pays du Pount (l’Ethiopie), la dernière semble répondre à l’hypothèse de travail que nous émettons au sujet de l’origine éthiopienne des hwéda.

En effet, selon Cheikh Anta-Diop « la langue même non écrit porte nécessairement les traces de tout le passé qui la véhicule. En cela, elle intéresse la recherche historique africaine au premier chef ».

Prenons l’exemple du mot Ahouènou » par lequel ont désigne certaines familles béninoises. La désinence « nou » indique l’idée de provenance ou d’appartenance à un groupe social.  » Ahouènou » serait alors originaires d’Ahouè. Or au Bénin, ils sont chargés du culte de python sacré, le dangbé vénéré par les Hwéda qui dit-on, porte sur les deux joues des tatouages semblables à ceux de leur dieu.

Notre hypothèse de travail revient à les rattacher à l’ancienne dynastie de la région d’Aksoum qui règna sur l’Ethiopie entre le avant J.C. Cette « caste hiératique est dite d’Ahoué en raison du culte qu’elle rendait à un serpent divinisé : Arewié » signale D.P. de pédrales. La lettre R étant peu usitée dans la langue dahoméenne ou béninoise et surtout transformée en L ou H ; Aroué a donné Ahoué.

En poussant loin la tentation, nous pouvons montrer sur l’hypothèse de travail la provenance de certains clans :  » akô » ou « akôta » béninois remontant à l’Ethiopie sous Menelik II. Ce sont les clans de :

  •  Bajavi Somênou dans la région de Siemen.
  •  Misawavi Gondonou dans la région de Gondar
  •  Gbeounvi Gbedjanou dans la région de Beja

En vérité, le gros du travail reste à venir : aux historiens et aux chercheurs d’apporter leur noble contribution à l’établissement de la vérité historique en confirmant ces hypothèses de travail ou en exhibant des thèses plus convaincantes après prospection de nouveaux champs d’investigations.

LE PEUPLEMENT DE OUIDAH A TRAVERS LES AVATARS DE L’HISTOIRE

La fortification de Ouidah

Le mode de traite commerciale inauguré par les Portugais nécessitait des établissements commerciaux protégés, d’où l’idée de forts imposés par les émules d’Henry le navigateur à El Mina sur la côte de l’or dès la fin du 15ème siècle. Ouidah va donc se couvrir de ces forts au fil des décennies (forts français, portugais, anglais, allemand, danois etc …) Chacun de ses forts était entouré d’un fossé de protection et garni de bastion chargé de canons pour assurer leur défense en cas d’attaque. Tout ceci explique la présence sur la terre de Ouidah de contingents européen dans le royaume des Hwéda. Le XVIIIème siècle fut incontestablement un grand siècle pour Ouidah, car le comptoir d’Adjuda était opérationnel et la traite fut prospère pour les négociants à l’abri des forts.La conquête du royaume de OuidahElle fut l’objet de la convoitise du roi des fon Dossou Agadja qui voulut prendre d’assaut le royaume de Sahé aux fins de pouvoir commercer avec l’extérieur. C’était en 1727. Mais sa mort prématurée deux après n’a pas empêché son successeur Tegbessou de terminer la conquête entreprise. On peut parler de la colonisation de Ouidah et installation des colons fon qui ont pris position des principales artères du royaume vaincu. Le XIXème siècle du renouveau national pour le Dahomey : le monarque aboméen Ghézo profita de la déliquescence de l’empire d’Oyo après la bataille d’Illorin en 1834. Les fon occupant tout le territoire conquis par des fermes et des hameaux, vont assurer pendant longtemps l’état de siège de Ouidah réparti en quartiers où ils résidèrent en maîtres incontestés de la situation de domination. Quelles sont en fait les communautés qui ont peuplé Ouidah dans le passé ?En récapitulant les groupements humains que nous venons de citer, nous pourrons mentionner trois grandes communautés sociales : les Hwéda, les fon et la communauté européenne, à laquelle il faut ajouter la communauté afro-brésilienne constituée de famille de souche brésilienne, des mulâtres venus du Brésil, d’anciens esclaves et d’anciens domestiques portant les noms patronymiques de leurs anciens maîtres. Nous signalerons en outre la communauté des familles de Wémê, venues du sud du Dahomey, et enfin la communauté Nago-Yorouba comptant pour des familles composantes originaires du Nigeria : Oyo, Kétou, Abéokouta, Ijesha, mêkô …etc.

Il n’y a donc pas grande surprise à signaler au sein du peuplement de Ouidah des noms brésiliens comme de Souza, d’Almeida, doRego, Dasilva, Domingo, Da Conceiçao, Monteiro, Vieyra, Da Costa, Diogo, Feraez, Da matha Santa’Anna etc…

La présence des brésiliens et afro-brésiliens à Ouidah indique l’apport de l’occident sur la terre dahoméenne, l’adoption des modèles occidentaux de pensée, de travail et l’économie du pays s’en est trouvée modifiée avec le retour des affranchis à la suite de la révolte dite des Malè de 1835. A ce propos, il convient de réagir contre la propagande exagérée qu’une opinion internationale récente monte pour laver les européens de tout soupçon d’avoir trafiqué au  » nom de leur civilisation  » des êtres humains qui ont commis la plus grave erreur de leur vie d’être des noirs : aujourd’hui  » ce sont les africains eux-mêmes qui ont vendu leurs frères noirs « . C’est une thèse qu’il faut vivement rejeter afin de ne point alléger la conscience des occidentaux qui traîneront à travers les âges ce lourd fardeau dont le poids surpasse ce que l’homme, en l’occurrence  » l’homme blanc  » a commis de plus ignominieux envers le genre humain.

L’histoire nous apprend que des rois africains ont exigé à temps la suppression de la traite esclavagiste. Ce fut le cas du monarque congolais qui s’insurgeait contre l’ignoble subterfuge auquel ont recours les esclavagistes européens qui excitaient les noirs à se battre entre eux et recrutaient parmi les vainqueurs les lutteurs qui excellaient dans l’art du combat. Les prêtres leur administraient le baptême et prêts pour le grand large, ils débarquaient outre atlantique. Quant au roi d’Abomey, Adandozan, il avait demandé dès son accession au trône la fin de l’esclavage. Initiateur de la politique des grandes palmeraies, il souhaitait utiliser les captifs de guerre comme d’une main d’œuvre abondante pour parvenir à ses fins. Si des africains d’une certaine génération revenus de leurs odieuses mésaventures ont tenté d’imiter leurs cupides oppresseurs, ils n’avaient pas perdu l’espoir (que le rapport de forces jouant en faveur des trafiquants européens leur avait interdit au départ) de revenir un jour sur la terre de leurs ancêtres ? Ils savaient qu’ils étaient de taille à affronter désormais des adversaires terroristes qui les avaient arrachés dans la douleur à l’Afrique, la preuve, c’est qu’à la suite d’une révolte, la  » révolte des Malè  » de 1835, qu’ils avaient regagné leur ancienne patrie.

On cherchera mille excuses pour laver l’Europe et les européens de ce crime perpétré contre humanité qu’ils n’en sortiront jamais blanchis car ils ont innové sur notre continent un mode d’esclavage fondé sur l’inhumaine condition de l’être asservi à la dégénérescence et à l’humiliation qui réduisent l’homme à l’état de marchandise marquée du label  » à vendre « .

En Afrique, l’esclavage revêt le caractère d’une institution plus humaine où l’esclave est intégré au groupe familial et jouit également des mêmes droits que ses membres. Cheikh Anta Diop l’exprime dans une formule élégante : « c’est l’esclavage, au sens occidental, qui a fait de Toussaint Louverture un Prométhée. Il y a donc lieu de démystifier, tant de notions héritées de la sociologie classique ». Démystifier c’est-à-dire rétablir la vérité entre « sociétés archaïques » et « sociétés prométhéennes ».

Les européens ont-ils déjà abandonné de nos jours au fronton du monument des  » droits de l’homme  » leur instinct dominateur vis – à vis des africains ? Le néocolonialisme n’est – il pas une forme nouvelle d’esclavage, l’esclavage des temps modernes ?

LES VESTIGES DE L’HISTORICITE OUIDAHNIERE

On le sait maintenant, Ouidah est en pleine décadence. Les hommes ont fait leur temps. Est – ce à dire que l’histoire n’a plus son mot à dire ? Sans doute. Les vestiges de l’historicité ouidahnière résident dans les noms de ces quartiers, les fameux  » Sramê  » qui font revivre les heures de gloire de la nostalgique métropole qui a manqué de ses vestiges du Dahomey.

Dans son « histoire de Ouidah du XVIème au Xxème siècle », Casimir Agbo a recensé les fondateurs des quartiers et les familles qui y résidaient.

Il serait excessif de reproduire ici cette classification laborieuse. On peut peut-être indiquer les plus importants et retracer les liens qui les unissent sur le plan historique :

  •  Quartier Ahouandjigo : Quel lien ce mot entretient-il avec son radical « Ahouan » qui signifie guerre ? Ce quartier est fondé par Hay-Ehouin, roi Hwéda. Détruit par le monarque aboméen Tégbéssou qui finit par conquérir, Ouidah il fut rebâti et cent hommes et cent femmes ont contribué à la construction du fort Saint Louis. La création de ce dernier que l’on a baptisé « Fort Français » qui a occasionné la fondation du quartier. Tous les mulâtres issus des européens du Fort français habitaient généralement ce quartier.

Le rôle joué par la France dans l’esclavage des noirs n’est pas négligeable. D’après un document officiel publié à Londres en 1789, le Dahomey fournissait aux trafiquants une moyenne annuelle de 10 à 20 mille esclaves dont 700 à 800 pour les anglais, environ 3000 pour les portugais et le reste adjugé par les français qui les dirigeaient vers les Antilles. En 1792, la France abandonna le Fort. La destruction de l’ignoble entrepôt où a transité « la carcasse nègre » relève t- elle des réactions des abolitionnistes qui exigèrent la suppression de la traite négrier ou la préoccupation majeure de ne pas léguer au monde l’image sublime d’une France civilisation qui a violé le pacte d’humanité qui garantit le respect et le droit à la vie à tout homme ?

  •  Quartier Sogbadji : C’est le quartier du fort anglais et aussi l’un des grands quartiers religieux de Ouidah, base de toute la congrégation religieuse du sud – Bénin et où réside le grand prêtre Vodoun : Hounon – Dagbo. Il fut fondé par Zossoungbo, membre de la toute première ethnie Hwéda et ancien hamacaire du roi Houffon, le dernier roi de Savi. Son nom Sogbadji désigne l’esplanade du dieu du tonnerre.
  •  Quartier Docomê : Fondé par Ahombacla, prince des Hwéda de Savi . Son oncle Kpatè de la suite de Possi facilita le premier débarquement des européens à Ouidah en leur faisant des signaux avec son pagne attaché à un bâton. Ce quartier a abrité le Fort portugais. Les guerriers d’Abomey le prirent d’assaut. Tombé entre les mains des dahoméens dirigés par Kawo et Fossou, les portugais abandonnèrent le fort et incendièrent les maisons. Mais Fossou fit reconstruire tout le quartier par ses hommes.

Ce furent les trois quartiers fondamentaux qui ont précédé les autres et les autochtones les désignaient sous les surnoms respectifs de Zodjagué – Kô, Glinci-Kô et Agouda-Kô : le quartier des français, le quartier des anglais et le quartier des portugais. L’autorité administrative a fusionné les quartiers Sagbadji et Docomê en 1936 et en a confié la chefferie à Monsieur Philippe Adjanohoun après consultation de la population.

  •  Quartier Zongo : Situé à proximité de Fon-Sramè, ce quartier abrite des gens étrangers par leur culture et leur religion, immigrés du nord de Dahomey et du Niger. Dans ce quartier, le roi Agadja fit édifier un temple (To-Lègba), dieu lare consacré à la protection de la vieille cité de kpassè et connu sous le nom de « Agadja-Lègba » très redouté et à qui la population voue une vénération très remarquée. Le voisinage du quartier Zongo qui abrite cette divinité et le quartier Fon-Sramè, zone résidentielle des Fon montre que la déférence qui lui était réservée au départ servait d’appui et de protection aux colons fon. En effet, ceux-ci recherchaient par prudence le soutient d’une divinité susceptible de les défendre contre les agresseurs à qui ils avaient ravi leur territoire. Il est intéressant de noter que dans leur lutte contre le vodouisme, les prêtres de l’église catholique ont dédié à la vierge marie de l’immaculée conception la maison du seigneur face au temple du dieu python, le Hweda dangbé vodoun. Dans le quartier Zongo les protestants à l’église méthodiste ont élevé leur temple de prière face au sanctuaire du « To-lègba-d’Agadja ».
  •  Quartier Ganvè : Fondé par un français, le fils aîné de Joseph Olivier de Montaguère, le premier européen qui vint s’installer à côté du quartier Ahouandjigo
  •  Quartier Maro : Le nom  » Maro  » d’origine haoussa, signifie étranger. Ce quartier qui abrite aujourd’hui encore la plus grande mosquée de Ouidah, est créé dit – on à partir d’une partie du quartier Zomaï concédée par Francisco de Souza à d’anciens esclaves de souche nago originaires du Nigéria. Mais de l’avis de Casimir Agbo, ce quartier fut fondé en 1812 par d’anciens esclaves vendus au Brésil et rapatriés. Ils sont originaires des diverses contrées du Bénin. Un terrain leur fut concédé par le roi Ghézo à Ouidah. Les intéressés payaient tribut au roi. Le problème qui se pose est de savoir si le rapatriement de ces esclaves a eu lieu avant celui des esclaves revenus au Dahomey en 1835 grâce à la révolte des « Malè ». La réponse à cette question s’impose pour préciser la date de fondation de ce quartier :1812 ou 1835 ?
  •  Quartier Zomaï : Fondé par Francisco de Souza, brésilien, ancien officier de l’armée portugaise, dit-on mais le plus grand esclavagiste de tous les temps. Premier Chacha dignité créée par le roi Ghézo. Zomaï signifie « où le feu ne va pas ». Expression imagée ou simple euphémisme ? Le seigneur des lieux redoutait-il un incendie qui risquerait de dévaster sa riche propriété et tout le quartier pour lui avoir donné le nom de Zomaï ? La résidence y fut bâtie en 1894. Pour certains, il souhaitait y vivre tranquille à l’abri des incendies. Pour d’autres, l’installation d’une poudrière faisait redouter l’agression des compagnies de traite ou pour décourager l’assaut des esclaves et de fréquents combats.
  • Quartier Blêzin ou Brésil : il est fondé par Francisco de Souza. Prononcé Blêzin pour la couche analphabète de la population qui a des difficultés à prononcer la lettre R souvent transformée par elle en L ou H. Son fondateur a rêvé y créer un coin de terre en souvenir de son pays natal. Quartier de style de vie bourgeois, certains familles y ont joué un rôle politique et économique important et l’ont élu comme une zone résidentielle. On comptera parmi elles Houenou plus comme sous le nom patronymique de Quenum, Joaquim d’Almeida.
  •  Quartier Tovè : Un des plus vieux de Ouidah, fondé par le roi Kpassè sous le règne de qui apparut une conception économique du royaume fondée sur l’agriculture.Ce quartier abrite la ferme historique appelée « ferme de kpassè » ou Gléhoué (la maison de champ) devenue la ville de Ouidah, ce qui fait qu’on désigne Ouidah sous son second nom de  » Gléhoué-Kpassè « .
  •  Quartier Fon sramè signifie le quartier des fon. Subjugués par les Aboméens après la conquête du royaume de Savi par les rois Agadja et son fils Tegbessou, les Houeda désertèrent leur pays. Les fon y ont élu domicile et placé la cité sous surveillance. Leur quartier était dirigé par le second chef de l’armée d’Abomey tandis que Kawo assurait la surveillance de la ville en même temps que la gestion de son quartier « Kawo sramè ».Kawo-Sramè : Kawo, fils du grand conquérant Dossou Agadja, il devint gaou, ministre de l’armée et s’était vu confier par Tégbessou la cité conquise.
  •  Quartier Boya-Sramè : C’était la résidence d’un personnage historique important à qui le roi Ghézo confia la charge de surveiller les opérations d’embarquement des esclaves au port de Ouidah.
  •  Quartier dit « place Kindji » : Son nom est rattaché à l’histoire du partage de l’héritage de Don Francisco de Souza décédé entre ses trois enfants, Isidoro, Ignacio et Antonio. Les deux aînés comblèrent le roi Ghézo ami intime, conjuré de leur père, de cadeaux pour qu’il déshéritât le troisième. Le souverain les invita à Abomey pour régler le différend. Mais contrairement à leur attente, il commença par prélever les trois quarts de ce que le défunt a laissé comme héritage. A l’aîné, il conseilla de se contenter de la charge de son père. A chacun des deux cadets, il donna une maison ; l’une à Zomaï, l’autre à l’emplacement d’un ancien cimetière où se situe la maison d’Adjido. Mécontent de s’être vu attribuer une mauvaise part de l’héritage de son père, Antonio entra en dissensions avec ses frères et déclara que cet endroit porte les vestiges de la discorde, de la haine d’où Kindji (Kin = haine, rancune).
  •  Quartier Quenum : Nous avons déjà montré que la famille Quenum réside au quartier Blèzin, mais Casimir Agbo lui attribue un quartier spécifique et qu’il baptise quartier Quenum, faisant d’Azanmado Houenou le fondateur. Ceci explique l’importance du rôle politique joué par ce personnage de très grande progéniture et qui avait été grand cabecère et chef chargé du commerce du roi Ghézo.

Ouidah offre au niveau de son peuplement, une originalité fort impressionnante : son charmant cosmopolitisme inscrit au palmarès des litanies onomastique, les fameux « panégyriques classiques » déclinant majestueusement au son du tambour les noms d’illustres familles immigrées venues d’horizons divers.

Mais ce rituel patronymique semble de plus en plus étouffé par la décadence d’un empire qui étale sur la ville sa lugubre parure enveloppée d’une draperie de deuil à la tombée du crépuscule.Ouidah ville fortifiée, royaume conquis « porte océane du Dahomey ! »Ouidah centre de rayonnement intellectuel, lieu d’affrontement des générations, terre d’asile des civilisations !

C’est bien à travers les noms de ses quartiers édifiés par les bâtisseurs d’autrefois qu’ont peut encore lire les moments de gloire de son passé enchanteur qui se veut toujours présent. Mais ces témoins de l’histoire sur qui pèse le poids des ans ne résistent – ils pas au défi du temps qui ronge les civilisations comme pour les rendre mortelles ?

Au dire de Paul Valéry, ces dernières ne jouissent guère du monopole d’éternité et sont, tout comme les hommes, appelées à mourir : « nous autres civilisations, s’écria-t-il déjà, eh bien, nous savons que nous sommes mortelles ».

Mais tant que l’homme vit, l’irréparable peut être retouché, ce qui fut fait et manqué peut être refait. Là-dessus, la tâche qui nous attend est dense et immense : il y a des rues dégradées, des sentiers tortueux à retracer et à remettre au goût du jour, des quartiers délabrés aux façades émaciées à remodeler, des maisons décrépies et surannées à revitaliser… « objets inanimés ! avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? » s’interroge le poète. Cri d’amour, certes, mais hélas, cri d’alarme qui vient nous tirer de notre léthargie parce qu’il exprime notre refus d’assister impassibles ou impuissants à l’agonie de ce géant de marbre taillé sur mesure pour l’histoire devenu à présent la proie facile de cruelles intempéries.

Mais comment alors restituer à cette « Pompéï » noire sa vitalité d’antan, vivacité perdue et engloutie sous les flots mornes du vieux port solitaire, ce prodigieux monument de misère et de vanité, pièce unique d’un musée marin avachi condamné et essoufflé à raconter à longueur de journée à de mystérieux visiteurs illustrés , messagers des temps révolus aujourd’hui modestes habitants de l’empire des ombres, les exploits légendaires de sa lointaine jeunesse héroïque ?

La rénovation et la réhabilitation de Ouidah ne sauraient être l’œuvre d’aventuriers hardis allant à la conquête d’un Eldorado nouveau à l’instar de ces pionniers américains de la rué vers l’or. Il nous faudra collaborer dans un esprit d’amitié et de fraternité exempt de toute ambiguïté, de toutes contradictions, de toute cupidité, bref de toutes exactions qui sont source des conflits et de discorde.

« Si tu veux qu’ils se haïssent, dit Saint Exupéry, jette leur du grain, mais force les à bâtir ensemble une tour et tu en feras des frères… sont frères ceux qui collaborent ».

Voilà toute tracée, chers amis, la ligne d’action qui nous mènera droit au but et susceptible de nous aider à relever les « défis surmontés » dont parle Toynbée et qui sont générateurs de civilisation.

A en croire F. Fanon, « chaque génération dans une relative opacité, doit découvrir sa mission et la remplir ou la trahir « . La mission que le destin assigne à nous autres ouidahniers d’aujourd’hui, c’est de pouvoir raconter aux générations futures, Ouidah régénérée sous les traits symboliques de l’oiseau des légendes, le phénix, entièrement rené de ses cendres.

Puisse ce rêve se réaliser que nous nous flatterions non seulement d’avoir osé mais encore et surtout d’avoir réussi à prendre notre seule revanche possible sur la fuite désespérée du temps !

Cosme Zinsou Quenum, Sociologue
Chargé de recherches en sciences humaines @ FETE DE L’U.G.D.O – Nanterre, le 14 Décembre 2003